MUNICIPALES 2026 : PARIS EST-ELLE IMPERDABLE POUR LA GAUCHE ?

Municipales 2026 : Paris est-elle imperdable pour la gauche ?

NOTE D’ANALYSE DE LA CELLULE INTELLIGENCE POLITIQUE

Paris semble imperdable en 2026 pour la gauche, à l’aune des rapports de forces politiques des Européennes 2024 et des législatives anticipées de l’été 2024. Les fractures historiques de la géographie politique de Paris entre l’ouest bourgeois de droite et le nord-est bourgeois de gauche et populaire demeurent, mais les composantes de ces blocs politiques ont évolué avec l’émergence d’En Marche depuis 2017. Un « bloc de droite 2.0 » composé de LREM et de LR constitue manifestement le socle d’une candidature de la droite recomposée pour prendre Paris.
Or, la dynamique électorale du bloc de gauche et de ce bloc de droite 2.0 entre 2022 et 2024 tourne très nettement à l’avantage de la gauche sortante à Paris. Cette position de favori doit toutefois être tempérée par un paradoxe : si le surcroît de participation des milieux populaires, observé aux législatives de 2024 se reproduisait en 2026, il pourrait priver l’attelage PS-EELV-PCF de précieux sièges au Conseil de Paris que LFI pourrait lui ravir.

Paris imperdable pour LREM en 2020… et pourtant

Au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron à l’Élysée en 2017, la percée d’En Marche à Paris (34,83 % contre 10,18 % pour le candidat du PS, famille politique d’Anne Hidalgo) comme dans toutes les grandes métropoles gentrifiées laissait présager une probabilité de conquête de la capitale par LREM, nouveau parti unifiant les CSP+ de droite et de gauche (le fameux « bloc bourgeois »). Il n’en a rien été, pas plus à Bordeaux qu’à Lyon, présentant le même profil sociopolitique que Paris. La personnalisation des candidatures, le jeu des alliances de 1er tour et des négociations de fusions au 2nd tour, l’instabilité des partis politiques au niveau national incitant les têtes de liste à « localiser » leur campagne, sont autant de paramètres spécifiques aux élections municipales, au point de déjouer l’arithmétique électorale. Pour autant, l’analyse des rapports de forces politiques lors des élections majeures est bien plus structurante pour comprendre les recompositions sociopolitiques à l’œuvre et anticiper des scrutins à l’issue incertaine.

Pour preuve, lors des municipales de 2020, l’analyse de la reconfiguration des rapports de forces politiques entre le 1er tour de la présidentielle de 2017 et les Européennes de juin 2019 démontrait déjà que la prise de Paris par la Macronie, annoncée comme certaine, était en réalité inatteignable. Le vote En Marche progresse entre 2017 et 2019 dans les bureaux de vote des quartiers de la haute-bourgeoisie conservatrice de droite (6e, 7e, 8e, 16e, 17e arrondissements) alors qu’il régresse partout ailleurs dans le centre de Paris et dans les bastions historiques de la gauche au nord et à l’est. Autrement dit, non seulement le processus de substitution du vote UMP/LR par LREM était déjà bien avancé en 2019, mais surtout la frange du centre-gauche ayant voté Macron en 2017 revenait « au port » des listes PS et EELV dès les Européennes suivantes. Le parti présidentiel était en train de devenir « l’UMP 2.0 », en particulier dans les grandes métropoles. De sorte que, pour le cas de Paris, l’alliance LREM-LR sur une candidature de Rachida Dati pourrait logiquement sembler une équation gagnante pour 2026. L’est-elle vraiment ?  

Élections 2024 : la dynamique politique favorable à l’union de la gauche

Qu’on en juge par les rapports de forces politiques à Paris au 1er tour de la présidentielle de 2022 puis aux Européennes du 9 juin 2024 et aux législatives anticipées de l’été 2024, pour prendre en compte les recompositions sociopolitiques les plus récentes. La configuration des Européennes 2024 se prête davantage à une projection sur une élection municipale dans une grande métropole à forte concentration de CSP+ et de richesses dans la mesure où les classes populaires et moyennes inférieures, encore présentes dans la capitale (23,1 % de logements sociaux au 1er janvier 2024), s’abstiennent plus fortement lors de ces deux scrutins. En revanche, les législatives anticipées font presque figure d’anomalie politique au regard du surcroît de mobilisation des quartiers populaires aux portes de Paris, concentrant l’essentiel des logements sociaux, motivée par le front républicain contre l’extrême droite : jusqu’à +17 points de participation par rapport aux Européennes du 9 juin 2024 dans les quartiers de la porte de Clignancourt jusqu’à la porte de Bagnolet et dans ceux de la porte de Vanves jusqu’à la porte d’Ivry. Un recul de l’abstention qui bénéficie clairement à LFI, qui affichait des scores dépassant les 28 % dans les bureaux de vote de ces quartiers aux Européennes 2024.

En considérant le bloc de gauche comme le cumul des voix de ses 4 composantes (PS, EELV, PCF, LFI) et le bloc de droite comme la symbiose entre LREM et LR, la variation des votes entre le 1er tour de la présidentielle de 2022 et les Européennes 2024 établit une indéniable dynamique en faveur de la gauche, principalement portée dans ses bastions historiques du nord et de l’est parisien, avec toutefois une progression dans les arrondissements du sud (12e et 14e) gérés par EELV-Générations depuis 2020. Aux Européennes 2024, le bloc de gauche apparaît fortement majoritaire (carte ci-dessous) dans toute la capitale, y compris dans des places fortes historiques de la droite. Le « bloc de droite 2.0 » recule partout dans la capitale, avec une perte inférieure à 8 points dans l’ouest parisien mais supérieure à 20 points dans le Marais ou dans des arrondissements swing (5e et 9e) actuellement dirigés par des maires Horizons.

Sur la configuration des Européennes 2024, la carte de synthèse des rapports de forces entre bloc de gauche et bloc de droite atteste très nettement une dynamique majoritaire en faveur de la gauche… y compris dans des arrondissements de droite, même gérés par des maires au profil « centre droit » (5e et 9e). Dans le cas d’une reproduction à l’identique des rapports de forces des Européennes 2024 aux municipales de mars 2026, quel que soit le mode de scrutin retenu (sur fond de réforme hasardeuse de la loi électorale « PLM » Paris, Lyon, Marseille), une victoire de la droite à Paris, même sur une candidature unique, paraît hors d’atteinte.

Un retard de voix difficilement rattrapable pour la droite LREM-LR

La géographie politique de Paris en 2024 se retrouve évidemment dans les réservoirs de voix des blocs de gauche et de droite. Aux Européennes 2024, la gauche présente près du double des voix du bloc de droite 2.0, lui-même dangereusement talonné par la poussée de l’extrême droite dans l’ouest parisien, inédite dans l’histoire politique de Paris depuis l’époque du poujadisme. Au 1er tour des législatives anticipées, le rapport de forces se rééquilibre en faveur de la droite du fait du mode de scrutin uninominal pour l’élection des députés et du choix du Nouveau Front Populaire d’attribuer à LFI des circonscriptions au profil « bloc bourgeois de gauche ». Mécaniquement, dans ces quartiers très aisés et prétendument « progressistes », ces candidatures perçues localement comme « radicales » ont entraîné un reflux d’électeurs néolibéraux qui avaient voté pour la liste PS-Place Publique aux Européennes 2024 vers des candidats de droite LREM ou LR. Le surcroît de mobilisation des quartiers populaires aux portes de la capitale se traduit néanmoins par un écart de 64.000 voix en faveur de la gauche et d’une progression de 20.000 voix par rapport aux Européennes 2024. L’abstention différentielle entre les arrondissements de gauche et de droite, quasiment équivalente, amplifie cette dynamique en faveur de la gauche, qui dispose d’un réservoir théorique supérieur de 343.000 voix aux bastions LR de l’ouest et du centre de la capitale.

Principaux enseignements

En synthèse, les conditions politiques requises pour une victoire de la droite à Paris en 2026 seraient une candidature unique du bloc de droite 2.0 (LREM + MoDem + Horizons + LR) sans dissidence, la reproduction de la configuration des Européennes 2024 (forte participation des CSP+, forte abstention des classes populaires et moyennes inférieures) et une participation tellement massive dans les arrondissements de droite qu’elle compenserait un retard de 200.000 voix – alors qu’elle dispose d’un stock théorique inférieur de 343.000 inscrits. La progression de la gauche semble très nette dans des arrondissements swing ou historiquement de droite, dont la sociologie a été profondément modifiée par une gentrification plus « progressiste » que « réac chic » (celle du 17e) : le 5e, le 9e et même le 15e pourraient tomber dans l’escarcelle de la gauche à condition que le PS y présente des candidatures plus « néolibérales ».
À ce stade, Paris semble imperdable pour un attelage PS-EELV-PCF sortant en 2026, mais deux phénomènes doivent être observés au titre des recompositions sociopolitiques à l’œuvre dans la capitale, au sein du bloc de gauche comme du bloc de droite 2.0 :

  • d’une part, la très sérieuse concurrence de l’extrême droite (FN-UDR-Reconquête) qui, après avoir qualifié un candidat au 2nd tour des législatives anticipées dans le 16e arrondissement, pourrait arracher au moins un siège au Conseil de Paris ;
  • d’autre part, la réédition d’une forte mobilisation des classes populaires aux portes de Paris, échapperait à l’attelage PS-EELV-PCF et pourrait procurer quelques sièges de conseillers de Paris pour LFI, au point d’écorner la majorité absolue au Conseil de Paris.